Deux anciennes victimes relatent leur histoire, leurs parcours de soins et les difficultés qu’elles ont rencontrées pour faire face à leurs symptômes
Ces témoignages sont extraits d’une émission diffusée sur Radio Albatros à l’occasion de la journée internationale de la violence faite aux femmes que vous pouvez retrouver en intégralité ici.
Témoignage de Florence
Radio Albatros : Florence, vous avez été victime de violences et plus particulièrement dans votre enfance. Est-ce que vous pouvez nous dire ce qui vous est arrivé pour que l’on comprenne de quoi on parle quand on parle d’abus sexuel pendant la petite enfance, et comment vous vous êtes reconstruite.
Florence : Moi, ça m’est arrivé vers les 8 ans et c’était avec un ami de mes parents. C’est un épisode que j’ai oublié très très longtemps. Je l’ai oublié jusqu’à mes 42 ans et ça m’est revenu en travaillant. J’avais un profond mal-être, je pensais que j’étais en dépression et puis j’avais des symptômes, notamment des peurs quand il s’agissait de laisser mes enfants. Des peurs terribles. Toujours l’idée en tête qu’ils allaient faire la mauvaise rencontre et vraiment quand je parle de mauvaise rencontre, je pensais au viol, qu’ils allaient croiser quelqu’un sur leur chemin qui allait les abuser et ces peurs là, elles ont trouvé une explication en travaillant notamment en EMDR pour essayer de réparer.
R.A. : Avez-vous compris comment est-ce qu’il a été possible que de 8 ans à 42 ans vous ayez complètement occulté ce passage ?
F. : C’est un processus de protection. Se confronter à la réalité, c’est trop difficile et l’amnésie nous protège tout simplement. Voilà, nous protège. Mais dans notre vie au quotidien, il y a des symptômes qui nous font dire que quelque chose ne va pas, quelque chose qui n’est pas normal.
R.A. : Et à force, avez-vous fini par chercher à trouver une solution pour sortir de ce mal-être que vous ressentiez ?
F. : Tout à fait. Après, il faut croiser le bon interlocuteur parce que c’est des choses que j’avais déjà abordées dans le cadre de thérapies classiques mais en fait, là, rien n’avait évolué. Il a fallu vraiment que j’entame ce travail en EMDR, vraiment, pour commencer à accepter, et puis réparer.
R.A. : Est-ce que le processus a été long, je veux dire à partir des 42 ans où le souvenir est revenu ?
F. : Oui, c’est un processus qui est long, mais qui offre quand même une évolution rapide, je dirais. Très vite, on se sent mieux. On a une explication tout à coup, on sait ce qu’il s’est passé, on comprend. Les paniques, je pense notamment vis-à-vis de mes enfants : quand les peurs commencent à émerger, je me dis « non, là c’est ton histoire qui te met dans cet état, ce n’est pas ce qu’il va se passer pour tes enfants.» Donc oui, il y a du mieux, beaucoup.
R.A. : Est-ce que ça veut dire qu’on a besoin de prendre conscience, dans notre société, que les femmes sont particulièrement exposées à ce genre de choses, et les enfants aussi ?
F. : Oui, on a besoin, d’autant plus qu’on peut l’oublier. C’est important de parler, c’est important de témoigner pour que les femmes qui se reconnaissent puissent se dire « Bien moi aussi, peut-être qu’il y a eu quelque chose » et se décident à entamer un travail pour se réparer.
R.A. : Si vous avez un conseil à donner ?
F. : J’allais dire d’en parler, d’échanger, de discuter. Parler c’est important. Ce n’est pas facile, c’est extrêmement difficile. Pour ma part, il y a très peu de personnes qui sont au courant de ce qui m’est arrivé. Voilà, c’est difficile d’oser dire les choses. Et puis on n’a pas envie d’être vue comme une victime. On a envie d’être vue comme une femme, comme une professionnelle, enfin voilà. On a peur d’avoir une étiquette de collée « victime d’abus sexuel », et de tous les a priori qui peuvent suivre.
R.A. : La société a un regard assez négatif sur les personnes qui sont victimes ?
F. : Malheureusement, oui, je pense que les victimes sont vues, ou ont une image plutôt négative : comme des femmes qui ont accepté, ou qui n’ont pas osé, ou peut-être même provoqué, … comme on peut l’entendre quelque fois. C’est terrible. C’est ce qui peut bloquer la parole.
Témoignage de Alex
R.A. : Alex vous avez été victime de violences sexuelles pendant la petite enfance ?
Alex : Effectivement j’ai connu des violences sexuelles par mon grand-père autour de l’âge de 2,5 ans. Après s’est suivie une amnésie traumatique, donc j’ai bien vécu on va dire, j’ai pas connu de soucis, j’ai fait une scolarité normale, j’ai trouvé une profession, un mari, j’ai eu mon premier enfant : un garçon, et puis j’ai eu mon deuxième enfant : une fille. Et Quand elle a eu 2,5 ans j’ai commencé à avoir des problèmes de sommeil, et à m’empêcher moi-même de dormir pour rester vigilante. Tant que j’étais éveillée tout allait bien, ma vie se déroulait normalement, mais les moments de sommeil, ou les moments en l’absence de mes enfants, étaient plus compliqués à gérer, sauf quand j’étais occupée. Par exemple un trajet en voiture pouvait être un moment d’angoisse où je me disais « où est-ce qu’ils sont ? Est-ce qu’ils sont bien en sécurité ? Est-ce que tout à l’heure quand j’ai traversé avec eux j’ai bien regardé à droite à gauche, est-ce que je ne les ai pas mis en danger ? ». Et puis le manque de sommeil, le fait de m’empêcher de dormir comme ça, m’a poussée à consulter. A ce moment-là je ne comprenais pas ce qu’il se jouait, à part me mettre moi-même à défaut, et me dire « pourquoi tu réagis de cette manière qui est complètement inappropriée ? ». Mais j’avais une volonté très puissante de me réparer pour bien vivre, justement, avec mes enfants.
Et pendant les consultations, le film s’est redéroulé, ce qui a été un éclairage pour mieux comprendre ce qu’il m’arrivait.
R.A. : Et comment ça se passe à partir de là pour vous ? Les choses vont mieux ou est-ce que vous comprenez ce qu’il ; se passe et du coup vous pouvez réagir en fonction de la compréhension que vous en avez ?
A : Les deux je dirais. Avoir une explication, avoir des mots à poser dessus c’est déjà essentiel. J’avais une forte volonté d’aller chercher les souvenirs, mais finalement c’était peut-être pas ça l’objectif. L’objectif c’était de comprendre. Et là où je pensais être malade, je vois maintenant que ce n’était vraiment pas le mot approprié. En fait j’étais blessée. Et je pouvais être soignée. A partir de là, c’est un processus qui peut être long, parce qu’il y a des choses qui sont ancrées en nous : des habitudes de réactions qu’il faut déconstruire. Pas tout, parce qu’on est aussi nous-mêmes, mais je dirais les problèmes de sommeil, les problèmes vraiment puissants qui dérangeaient vraiment la vie du quotidien, ça, ça passe assez rapidement je trouve.
R.A. : Et vous avez trouvé une aide psychologique ?
A : Oui, auprès d’E. Tarlet, auprès du groupe de parole LHAVI. C’est pas évident de faire ce premier pas, ça demande de l’effort, le deuxième aussi parfois, mais une fois qu’il est fait vraiment ça soulage, ça apporte du réconfort et puis on avance chacun à son rythme. Rapidement parfois, peut-être un peu plus lentement sur d’autres sujets, mais ça avance.
R.A. : Et alors le maître mot c’est parler quand on est victime de ce genre de chose ?
A : Oui parler, aux personnes appropriées effectivement. Et puis se dire, même si ce n’est pas évident parce que c’est un cheminement, mais se dire qu’on nous culpabilise, on nous fait honte, parce que le mot sexualité dedans…
R.A. : Même quand c’est à 2 ans et demi, on nous culpabilise quand-même ?
A : Oui, je dirais derrière ça que l’abuseur doit se protéger en fait, et donc il doit vous influencer sur le fait que, potentiellement, c’était de votre faute. Et lui il faut qu’il maintienne son statut de grand-père donc il faut qu’il fasse en sorte que demain, s’il vous prend l’idée de le dénoncer, il puisse dire « Mais non vous voyez, on ne s’est jamais vraiment bien entendus… » l’abuseur met en place un système de défense aussi, qui fait que oui, même enfant, on se dit, mais pourquoi j’ai pas réagi ? Alors qu’en fait, quand c’est le témoignage d’autrui, on se dit mais c’est logique que t’aies pas pu réagir, tu étais trop petite. Mais pour soi-même on est plus exigeant, plus dur.